Les rayons dorés du soleil couchant de Lykos se faufilaient entre les colonnes ouvragées du patio, projetant des ombres dansantes sur les dalles de marbre poli. C'était un moment rare dans l'atmosphère torturée de sa planète natale, à Dúanori... Au centre de ce havre de paix, Athis était assise en tailleur, ses yeux clos masquant momentanément leur éclat habituel. L'air embaumait les fragrances subtiles des fleurs exotiques qui s'épanouissaient dans ce jardin suspendu au cœur du château des Lycaeus.

La jeune femme inspira profondément, sentant la fraîcheur de l'air emplir ses poumons. Elle tenta de faire le vide dans son esprit, mais les images de l'attaque récente contre sa Maison s'imposaient à elle, indélébiles. Sa lèvre fendue palpitait encore, écho physique de la douleur qui étreignait son cœur. Caelum, murmura-t-elle, revoyant le visage apeuré du petit garçon qu'elle chérissait tant. La peur de le perdre l'avait presque paralysée, la rendant presque folle alors qu'elle le cherchait dans la grande salle de cérémomnie, révélant une vulnérabilité qu'elle n'avait jamais soupçonnée en elle.
— Suis-je incapable de protéger ceux que j'aime ? dit-elle, sa voix à peine audible par-dessus le bruissement des feuilles caressées par la brise du soir.

Athis ouvrit les yeux, son regard se perdant dans les volutes de vapeur s'élevant d'une fontaine proche. Le monde de la diplomatie interplanétaire était un jeu d'ombres et de miroirs, où chaque mot pouvait être une lame acérée, chaque sourire un bouclier. Elle qui avait toujours cru en la bonté intrinsèque des êtres, comment pourrait-elle naviguer dans ces eaux troubles sans y perdre son âme ? La réalité était venue frapper à la porte de ses illusions.

Un long silence...

Elle passa une main dans ses cheveux châtains, un geste familier qui trahissait son anxiété. Suis-je vraiment faite pour ça ? se demanda-t-elle toujours à voix basse. L'image de la Marquise Kaeda Lycaeus, imposante et imperturbable, s'imposa à son esprit. Combien de fois avait-elle vu cette femme prendre des décisions qui façonnaient le destin des âmes, sans jamais laisser transparaître le moindre doute ?

Un papillon aux ailes iridescentes se posa sur son genou, comme pour lui rappeler la beauté fragile qui persistait même dans ce monde impitoyable. Athis sourit malgré elle, touchée par ce rappel délicat de l'innocence qu'elle craignait de perdre. Elle croyait si fort en l'énergie de chaque être, de chaque rocher, en ce lien indéfectible reliant tout dans l'univers.

Son empathie, sa joie de vivre, n'étaient-elles pas des armes à leur manière ? Dans un univers où la méfiance régnait, sa sincérité ne pourrait-elle pas être son meilleur atout ?
— Je ne peux pas changer l'univers, dit-elle à voix haute, sa détermination grandissant à chaque mot, mais je peux rester fidèle à moi-même et à ma maison. Et peut-être, juste peut-être, que cela suffira à faire une différence.
Alors qu'elle baissait sa frimousse, Athis sentit une nouvelle résolution l'envahir. Elle affronterait les défis à venir avec son sourire comme bouclier et son cœur comme guide. Et qui sait ? Peut-être que dans les couloirs du pouvoir, une lueur d'humanité était exactement ce dont l'univers avait besoin.

Les apparitions d'Hugo dans le palais même de la famille Lycaeus avaient très rares jusqu'alors. Et toujours dans le strict cadre de ses fonctions, renforcement ou exercices de sécurité. Au mieux il était sollicité pour ce ce type d'activité une fois l'an. Pour arpenter pour la première fois le lieu de quiétude qu'était la vaste demeure souveraine, dans les vêtements de relâche que lui fournissait l'armée, le jeune homme avait fait valoir le sauf conduit que lui avait accordé le Consort. Ses mains ayant retrouvé un peu de discipline, affectées à un balancement très militaire de part et d'autre des hanches, même pour un jour de repos, c'était à ses pieds de se comporter de manière peu conventionnelle. Refusant tout net de poser le talon en premier, et attaquant le dallage par la pointe. Donnant l'air à Hugo de se précipiter ou de fuir un poursuivant en voulant n'alerter personne. Même lorsqu'il aborda le paisible patio sur le chemin de la bibliothèque du docteur Osian

Athis fut tirée de ses réflexions par un bruit de pas singulier. Levant les yeux, elle aperçut Hugo qui s'avançait d'une démarche inhabituelle, sur la pointe des pieds. Un sourire chaleureux illumina immédiatement son visage.
— Hugo ! s'exclama-t-elle doucement, ne voulant pas le surprendre. Quelle agréable surprise de te voir ici !
Elle se leva gracieusement, lissant sa robe d'un geste instinctif. Ses yeux pétillaient d'une affection sincère mêlée d'une pointe d'inquiétude.
— Tu cherches la bibliothèque d'oncle Osian, n'est-ce pas ? demanda-t-elle d'une voix grave et douce. Je peux t'y conduire si tu veux. À moins que tu ne préfères rester un peu ici ? L'air est si doux ce soir.
Athis observa attentivement le jeune homme, admirative de sa présence malgré son évident inconfort. Elle ressentait le besoin de le mettre à l'aise, touchée par sa vulnérabilité apparente qui contrastait tellement avec ses talents hors du commun.
— Tu sais, poursuivit-elle d'un ton léger, j'étais justement en train de réfléchir à nos récents... défis. J'aimerais beaucoup avoir ton avis, si tu te sens d'en parler. Ta perspicacité sur les questions militaires est toujours si éclairante pour moi.
Elle fit un pas vers lui, veillant à ne pas envahir son espace personnel. En tout cas, je suis vraiment heureuse de te voir, Hugo. Ta présence m'apporte toujours un sentiment de sécurité.

Les pieds cessèrent subitement leur fantaisie.
- Ah...
Le jeune homme fut comme pris dans le champs de force d'un bouclier. Ralenti brutalement puis stoppé net au beau milieu du pavement soigné du jardin intérieur. Les épaules encore en avance sur le reste du corps semblaient déterminées à poursuivre le chemin. Ainsi il lui fallut un moment d'hésitation pour commander à ses hanches le pivotement nécessaire pour se tourner vers la personne qui l'avait interpellé. L'hésitation redoubla. Son algorithme de communication se mettait-il en marche ? En tout cas ses mains s'élevaient discrètement, et ses doigts se déroulaient prêts à pianoter quelques calculs mentaux.

- Je ne comprends pas bien ce que vous dites...mademoiselle Oryndel. Comment est-ce que vous connaissez mon nom ? D'ordinaire les gens ne connaissent pas les soldats du rang. Même si moi je vous connais parce que vous êtes une personnalité publique. Les mots se bousculaient un peu, il parlait avec une certaine précipitation.
- Et je ne comprend pas non plus comment vous pouvez savoir que je vais à la bibliothèque. Le docteur Osian vient tout juste de m'y autoriser. Un flottement. Le processus de mise en relation pouvait prendre un certain temps.
- Pardon mademoiselle Oryndel. J'ai des troubles sociaux, c'est ce que le docteur Osian dit. Et vous me mettez mal à l'aise.

Athis accueillit les paroles d'Hugo avec un sourire chaleureux, son regard pétillant de compréhension et d'affection. Puis, pendant un bref instant, ses yeux semblèrent se voiler, comme si elle plongeait dans les profondeurs de son esprit.
Lorsqu'elle reprit la parole, sa voix était douce et posée.
— Oh, Hugo, ne t'inquiète pas. Je suis ravie que tu te sentes suffisamment en confiance pour me parler de ton inconfort. Laisse-moi t'expliquer comment je sais tout cela.
Elle fit un pas mesuré vers lui, cherchant délicatement son regard.
— Vois-tu, tu es loin d'être un simple soldat du rang pour moi. Tu es quelqu'un d'exceptionnel, Hugo. Tes talents uniques au combat et ta connaissance approfondie de l'histoire militaire t'ont fait remarquer. J'ai toujours été fascinée par tes capacités, et je t'observe discrètement depuis un moment.
Athis poursuivit d'une voix douce.
— Lors de la récente attaque, j'ai vu ta réaction. J'ai compris que tu avais vécu un moment difficile. Connaissant les compétences médicales de mon oncle Osian et sachant qu'il t'apprécie, j'ai déduit qu'il voudrait t'aider. Et comme tu te diriges vers sa bibliothèque, j'en ai conclu qu'il t'avait invité pour une consultation.
Elle sourit gentiment :
— Quant à ton nom, je l'ai appris il y a longtemps. Tu es unique, Hugo, et je m'intéresse sincèrement à toi.
Athis s'approcha encore un peu, son regard cherchant le sien avec douceur.
— Je comprends que ma présence puisse te mettre mal à l'aise. Mais sache que je suis là si tu as besoin de quoi que ce soit. Tu n'as pas à te sentir gêné avec moi, je suis ton alliée... Que dirais-tu de faire quelques pas ensemble dans ce jardin ? L'air du soir est si agréable, et je serais ravie d'entendre tes pensées sur n'importe quel sujet qui te passionne !

Même elle parfois aspirait à un peu de calme.
Pas longtemps, pas souvent, mais cela arrivait. Elle sortit donc durant une pause de son service vers les jardins et le patio, dans ses pensées avant d'entendre une conversation. Alors la petite fouine se plaqua contre un mur, intriguée, glissant un oeil vers l'origine des voix.

Athis et Hugo échangeait quelques mots à une quinzaine de mètres. Elle resta quelques instants par curiosité en jouant avec une de ses mêche de cheveux.

Il semblait relativement mal à l'aise, aussi décida t elle de ne pas se montrer pour ne pas augmenter son trouble en lui infligeant une double interaction sociale non prévue.

Les yeux aux iris marron déjà bien grandes écarquillèrent de façon spectaculaire. Les doigts avaient instantanément stoppé leur partition aérienne, figés pour de bon.

- Je crois que je n'ai pas été clair mademoiselle Oryndel. Je suis atteint d'un trouble neuro, qui se traduit entre autre par un déficit socio-émotionnel. Hugo se lançait dans un exposé médical. - Je suis capable dans beaucoup de domaine. Mais les interactions telles que vous me l'imposez me mettent en souffrance.
Le bras enfin déverrouillé il leva un doigt comme pour conserver la parole et l'appuyer.
- Par ailleurs j'aimerai autant que vous cessiez de m'observer à mon insu. Je ne suis pas une curiosité.

Athis éclata d'un rire cristallin, ses yeux pétillant d'amusement et d'affection. Elle se reprit rapidement, consciente que son rire pourrait être mal interprété.
— Oh, Hugo ! dit-elle en secouant légèrement la tête, un sourire attendri aux lèvres. Bien sûr que tu es une curiosité ! Mais dans le meilleur sens du terme. Tu es comme... comme un flocon de neige sur... je ne sais pas, la planète Dune ! Rare, précieux et absolument fascinant !
Elle fit un pas en arrière, respectant son espace personnel, mais garda son regard chaleureux fixé sur lui.
— Je comprends que les interactions sociales te mettent mal à l'aise, et je m'en excuse sincèrement. Ce n'était pas mon intention de te mettre en souffrance. Mais tu vois, c'est justement ce qui me fascine chez toi. Tu es capable de tant de choses extraordinaires, et pourtant, une simple conversation te semble être un défi. C'est... adorable, en quelque sorte.
Athis pencha légèrement la tête, une lueur espiègle dans les yeux.
— Dis-moi, Hugo, as-tu déjà eu une petite amie ? Ou un petit ami, d'ailleurs ? Je suis curieuse de savoir comment tu gères ce genre de relation avec ton... comment as-tu dit ? Ah oui, ton déficit socio-émotionnel.
Elle rit à nouveau, espiègle et naïve également à sa manière, mais cette fois-ci plus doucement.
— Je promets de ne plus t'observer à ton insu. À la place, que dirais-tu de m'apprendre quelque chose ? J'adorerais entendre parler de maniement de l'épée... En échange, je pourrais t'aider à comprendre certaines subtilités sociales. Qu'en dis-tu ?

Une première secousse parcourut menton d'Hugo. De fines vaguelettes étaient déjà en train de napper ses paupières inférieures. De la secousse vint une vibration qui s'étendit à toute la mâchoire qui lâcha bientôt.
- Ahhhhh. Telle était la plainte qui aurait dû s'échapper, mais il semblait vouloir la contenir. Alors elle resta silencieuse. Son visage s'était empourpré, les larmes entamaient leur exode le long des ses joues rondes.
En signe de protection il leva la main devant lui.
- Arrêtez s'il vous plait... Arrêtez. Se lamenta-t-il submergé par la détresse.

Nedylène fut surprise de la tournure de la conversation.
Elle ne connaissait pas spécialement Hugo, tout au plus avait elle pu entendre que ce soldat avait effectivement des problèmes de comportement en société. Elle pensait l'empathie et l'habilité d'Athis capable de calmer ses angoisses, mais peut être l'avait elle surestimée.

Elle considéra la situation.

Si elle faisait irruption maintenant, cela pouvait mettre Hugo davantage mal à l'aise mais aussi lui offrir un échappatoire, relâcher la pression en détournant l'attention d'Athis sur elle.

Elle décida alors d'opter pour ce second choix.

Sortant de sa cachette, elle avait gardé cette habitude de discrétion et ne fut perceptible qu'au dernier moment comme si elle était apparue derrière eux, arborant son sourire le plus charmant, un plateau à la main.

" Bonjouuuur. Soldat, Dame Oryndel, auriez vous besoin de quoique ce soit ? rafraichissement ? en-cas ? anectdote drôlatique ? sourire ?pensée du jour ? dites moi tout " lança t elle en entamant sa tirade.