Un…deux…trois…quatre…cinq…six…sept…huit. D’un pas pressé et rigide où la pointe du pied précédait le talon sur le sol miroitant de l’aile médicale, Hugo trottinait en comptant. N’ayant rien d’autre à penser que d’aller de son point de départ vers sa destination, il comptait en boucle. Un…deux…trois… jusqu’à huit. Pourquoi huit ? Parce que ça lui semblait naturel, et donc réconfortant. Parce que nombre des enchainements martiaux qu’il pratiquait se faisaient en huit temps. Parce qu’il lui fallait compter huit fois jusqu’à huit avant de verser l’eau portée à ébullition sur le mélange de feuilles de Varum et branches de thym pour qu’elle soit à la juste température.

Un…deux…trois…quatre…cinq… Hugo était arrivé à la porte de l’infirmerie sans avoir achevé son cycle. Il en fut contrarié. La porte était ouverte toutefois. Six…sept…huit. Il fit les trois pas salvateurs pénétrant dans la salle d’examen qui était pour l’instant déserte. Il n’osa plus bouger ne voulant pas être repris dans une itération. Il se mit néanmoins en extension sur une jambe pour porter sa tête et son regard vers une seconde issue de la pièce à deux enjambées de lui. Il hasarda à appeler.

Hugo n’eut pas à attendre longtemps.

Le docteur Osian Oryndel apparaît dans l’encadrement d'une seconde porte, des dossiers sous le bras. Sa silhouette, bien que droite, porte la fatigue de la semaine passée, son visage affichant une certaine lassitude. Mais, malgré cette fatigue apparente, Osian accueille Hugo avec un sourire chaleureux, l’étincelle de bienveillance dans ses yeux n'ayant pas faibli.

— Ah, Hugo, entre, entre, dit-il d'une voix douce mais enthousiaste. — Que puis-je faire pour toi aujourd'hui ?

Il semblait être en plein tri des dossiers médicaux militaires. Il referme le dossier qu'il tenait, comme pour s'assurer que l’attention qu’il porte à Hugo est totale. Le geste, bien qu’apparemment simple, témoigne de l’attention méticuleuse d’Osian à chaque détail et à chaque patient qui franchit sa porte.

Osian s'arrêta doucement, posant les dossiers sur un bureau proche. Il observa Hugo avec une attention bienveillante, remarquant les doigts agités et l’hésitation palpable qui transparaissait dans ses paroles. Le jeune homme, visiblement troublé, cherchait une oreille attentive, et le médecin était prêt à l’écouter sans jugement.

— Je comprends, Hugo, répondit Osian avec une douceur réconfortante. — Je suis heureux que tu sois venu me voir.

Il fit un pas en avant, réduisant la distance entre eux sans pour autant envahir l’espace personnel d’Hugo. Il ne chercha pas à croiser son regard immédiatement, respectant son besoin de fuir ce contact visuel direct, mais sa voix restait chaleureuse et stable.

— Léopold peut en effet être un peu intimidant, il a… sa manière d’être, un peu stricte, admit-il avec un léger sourire qui se voulait complice. — Et je comprends pourquoi parler avec Orla pourrait être difficile pour toi. Elle est forte, c'est certain, et elle peut donner l'impression de ne pas toujours avoir le temps ou la patience.

Osian fit une pause, offrant à Hugo un moment pour respirer. Puis il prit une chaise à côté et, d'un geste calme, invita Hugo à s'asseoir s’il le souhaitait.

— Alors, dis-moi ce qui te tracasse. Qu'est-ce qui pèse sur ton esprit ?

Osian, visiblement affecté par les révélations de Hugo, laissa échapper un soupir profond. Ses yeux, souvent si pleins de chaleur et de bienveillance, reflétaient maintenant une fatigue et une tristesse qu'il ne parvenait pas à dissimuler complètement.

— Je vois, Hugo. Je suis navré que tu as du gérer cela.

Il se frotta le menton, son regard se perdant un moment dans la contemplation des dossiers éparpillés sur le bureau, comme s'il cherchait une réponse dans les papiers en désordre.

— La femme que tu as vue, avec les cheveux bouclés clairs, c’est probablement Soully Almera. Elle était promise à Léopold, à une époque, avant son alliance avec Orla. Soully n’a jamais vraiment mis la croix sur leur passé commun.

Il ajouta, son expression se durcissant légèrement, mais son regard restant empreint de compassion :

— Orla et Léopold sont en froid depuis la soirée. J'ai cru comprendre qu'Orla reproche l'absence de son mari lors de ... l'incident. Caelum en souffre, mais il refuse d'en parler. Kaeda et moi avons pris des décisions difficiles en forçant certains mariages arrangés, et je regrette profondément les conséquences que cela a eues sur Orla et Kaito. Nous aurions dû gérer les choses différemment.

Il se redressa légèrement, faisant un geste réconfortant vers Hugo.

— Merci de m'avoir fait part de ces détails. Je vais parler à Orla. Que cela cesse de te peser.

Osian marqua une pause, comme s'il cherchait le meilleur moyen de formuler sa prochaine question.

— Alors, Hugo, qu’est-ce que tu penses de tout ce qui s'est passé la semaine dernière ? De l’attaque, des suites...

Il observa Hugo attentivement, prêt à écouter son avis et ses impressions sur les événements récents, conscient que l'avis d'un observateur extérieur pouvait parfois offrir des perspectives précieuses.

Osian écouta attentivement les paroles de Hugo, son visage marqué par une expression de compréhension et d'empathie. Il savait combien ces moments pouvaient peser sur un jeune homme comme lui.

— Je comprends, Hugo. Ce que tu ressens est parfaitement légitime. Le stress peut surgir à tout moment, et dans un contexte comme celui de cette soirée, les feux d'artifice ont amplifié une tension déjà présente.

Osian marqua une petite pause, scrutant les réactions de Hugo. Il parlait d'une voix calme, presque méditative, comme s'il voulait insuffler un sentiment de tranquillité à travers ses paroles.

— Mais je ne veux pas que tu portes cela seul. Le Comte Varykino, pour honorer le sacrifice de Gunmar, a offert les services d'une médecin Suk à notre Maison. Elle excelle non seulement dans la médecine physique, mais aussi dans l’aide à mieux gérer le stress et les situations émotionnellement intenses. Et j'ai ma pointe d'orgueil de dire que j'y ai participé. Elle arrive sous peu. Si tu le souhaites, je peux te mettre en contact avec elle.

Il laissa ses mots résonner un instant avant d'ajouter doucement :

— Cela ne veut pas dire que tu n'as pas bien réagi. Ce sont simplement des outils qui peuvent t'aider à te sentir plus serein, plus maître de toi-même la prochaine fois. Qu'en dis-tu ?

Osian écouta attentivement Hugo, observant le ballet nerveux de ses mains. Il comprenait visiblement bien le cheminement de pensée du jeune homme, la façon dont il analysait les situations, parfois avec une précision déconcertante, mais aussi cette difficulté à se projeter dans des interactions incertaines. Avec douceur, le médecin posa une main rassurante sur l’épaule d'Hugo. Ses yeux trahissaient une bienveillance paternelle, empreinte de compréhension.

— Tu n’as rien à craindre. En tant que médecin Suk, elle a été conditionnée de manière à ne jamais nuire, ni même penser à causer du tort à qui que ce soit. Littéralement, elle en est incapable.

Puis, pour alléger un peu l’atmosphère et permettre à Hugo de sortir de cette boucle de réflexion, Osian changea doucement de sujet.

— En attendant, je peux peut-être déjà t'aider à trouver une piste. Qu'as-tu ces derniers temps comme passe-temps ?