[LOUPS] Maître du Jeu a écrit : ↑08 sept. 2024, 12:00
«
C'est un plaisir, Docteur Carlyle. Je dois dire, j'apprécie particulièrement votre honnêteté. Nous sommes souvent poussés à des... réflexions profondes, surtout dans un contexte aussi chargé que celui-ci. » James fait un léger signe à l’un des barmans, commandant deux verres d'un vin rare et raffiné. Il pose alors la question délicate, celle qui semble hanter manifestement ses pensées : «
Quant aux alliances... eh bien, vous semblez mieux placé que quiconque pour en parler. Le mariage, surtout lorsqu’il est arrangé, n’est pas qu’une union de cœurs, n'est-ce pas ? Surtout lorsque des enjeux aussi importants sont en jeu. »
Il observe la réaction de Keith tout en inclinant légèrement la tête. Ses propres dilemmes se reflètent dans ses paroles, bien plus qu'il ne voudrait l'admettre.
«
Pour un homme tel que vous, passionné de science et de logique, » reprend-il en posant délicatement son verre devant Keith, «
Cela ne doit pas être une mince affaire de composer avec... des dynamiques familiales ou politiques, surtout si l'on considère... l'influence de certains ordres, comme celui de votre épouse. » Son regard se fait plus appuyé, presque scrutateur, mais jamais agressif. James teste les eaux, essayant de sonder à quel point Keith se sent prisonnier ou libre dans son union. «
Est-ce aussi pesant que cela en a l’air ? » reprend-il doucement, feignant une simple curiosité, mais cette question reflète une anxiété bien réelle. Il cherche à savoir, à comprendre si cette destinée, que l’on semble vouloir pour lui, est véritablement aussi oppressante qu’il le craint.
Il conclut avec un sourire, le regard attentif : «
Je me demande simplement si... l’on peut encore être soi-même dans ce genre de situation. »
Keith incline une première fois du chef, acquiescant aux paroles initiales de l'homme tout à fait charmant qui se tient devant lui. Puis une seconde fois lorsque le barman, vêtu de manière impeccable, lui tend un verre de cristal fin contenant un cru unique, certainement cultivé dans des vignobles secrets réservés à la noblesse. Alors qu'il fait tourner doucement son verre pour observer les "larmes" laissées par le vin sur les parois, le scientifique réagit physiquement aux dires de James sur le marriage arrangé. Son regard gris-bleu quitte la texture veloutée de la boisson pour se plonger dans celui cyanosé et rêveur de son partenaire de discussion. Les yeux du biologiste se mettent à briller d'humidité, comme si son âme venait d'être perforée d'une rude vérité.
Keith cerne assez rapidement le ton concerné et les paroles intéressées de James. Il l'écoute avec une attention particulière, touché par un soupçon de sensibilité. Le savant admire la délicatesse dont fait preuve l'homme en face de lui pour lui soutirer les réponses qu'il recherche. Il prend la première gorgée de son vin, l'explosion de saveurs délicates envahit son palais. Entre douceur et acidité, des notes de cerise noire, de cacao et de tabac apparaissent, suivies d'une légère touche de vanille et de cuir ancien, comme si l'histoire même du vin se dévoilait. Et comme son allocutaire et le breuvage avant lui, Keith parvient à se révéler. Son cou est raidi par la pression et sa main droite touchée par un tremblement à peine perceptible.
«
Il n'est parfois même pas question de cœur du tout, messire Ancaris. Mais il est des sacrifices que nous devons être prêts à faire... pour honorer ceux qui nous ont d'abord honorés. Il y a des manipulations complexes tissant leurs toiles à travers la galaxie. Et tout comme une simple brise est nécessaire à l'ensemencement du monde entier, une alliance éconduite pourrait mener à la destruction de tout un anthroposystème. »
La rosée lacrimale bordant ses paupières gagne en reluisance, tandis qu'il arrache délicatement une deuxième gorgée à sa coupe cristalline. Keith cligne plusieurs fois des yeux pour tenter d'aténuer cette réaction traîtresse de son corps et détaille doucement le visage de James. Il souhaite lui offrir la vérité quant à son dilemme, sans non plus se démasquer, de peur que de mauvaises esgourdes captent les détails de ses tourments. Le ton de sa voix se fait calme et mesuré pour n'être entendu, l'espère-t-il, que par son interlocuteur.
«
Pour un homme tel que moi messire Ancaris, c'est une composition infiniment difficultueuse, qui me demande de faire preuve de circonspection presque à chaque instant. Je n'ai jamais voulu que servir ma Maison avec toute la dévotion et l'intellect qu'il m'est possible d'offrir. Me voilà aujourd'hui l'objet de projets politiques autrement plus vastes. Par la grâce de Dieu, nous avons vaincu nos démons il y a des millénaires et avons fondé une société élevée par notre seule raison. Aujourd'hui l'ombre mystique des pythies de notre cosmos plane sur mon foyer et je me méfie de celle qui partage ma vie. J'ai confiance en ses étonnantes capacités, mais certainement pas en ses projets. »
Keith jette un bref regard tout autour de lui, comme si d'horribles gorgones allaient s'échapper de la foule entrelacée pour le plonger dans un sommeil sans un rêve. Puis il prend une inspiration et son attention se porte à nouveau sur James, appui anxieux mais attentif, curieux mais délicat.
«
Je me sens comme irrémédiablement attiré vers un abysse où se joue une comédie dont je ne suis que l'idiot utile. Bienheureusement, je peux être moi-même dans mon laboratoire ou lorsque je suis seul avec mes deux merveilleux enfants. Ces antidotes me comblent assez de bonheur pour supporter le poison qu'on m'a injecté le jour où j'ai dû... épouser une sorcière. Est-ce que je peux être encore moi-même messire Ancaris ? Je l'espère du plus profond de mon cœur, mais pas dans cette situation. »
Le Lykéen semble s'être libéré d'un poids mort qu'il trainait depuis un temps déjà. Personne, depuis son mariage avec dame Salistra, n'a jamais entendu cela. Il ferme les yeux quelques instants et prend une grande inspiration. Soudain, un sourire sincère se dessine sur sa bouche aux lèvres pleines et les quelques perles courronnant son iris atteignent le coin de ses paupières marquées. Il termine son intervention par cette citation, certainement vestige d'un ancêtre de la Bible Catholique Orange :
«
Pour tous ceux qui vivent il y a de l'espérance ; et même un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort. »